BYZANCE DU IVe AU XIe SIECLE (3.)
3. AFFERMISSEMENT DES RAPPORTS FÉODAUX DANS L'EMPIRE BYZANTIN (SECONDE MOITIÉ DU IXe SIÈCLE—FIN DU Xle)
Déclin de la paysannerie libre. La politique des empereurs macédoniens.
La défaite de Thomas le Slave et du mouvement des pauliciens sapait la résistance de la communauté devant l'assaut des forces féodales. Au cours des répressions, l'aristocratie militaire mit la main sur de nombreux terroirs communautaires. Les mauvaises récoltes et les épidémies qui sévirent du IXe au XIe siècle, ainsi que les guerres sans fin, ruinèrent les paysans. L'accroissement des rapports marchandise-argent précipitait cette ruine.
Les paysans libres se livraient d'eux-mêmes à la protection des opulents et des puissants, leur faisaient abandon de leurs biens et se fixaient sur les terres seigneuriales comme serfs (jxapoixoî ou parèques) ou désertaient la campagne pour aller s'établir à la ville. Le mot ôuvaxot (dynatoi, hommes forts et puissants) fut appliqué à ceux qui usurpaient les terres communautaires et les champs des paysans et assujettissaient ces derniers. La ruine des paysans prit de telles proportions que cela devint un véritable désastre.
Les cultivateurs libres étaient le fondement du système dei thèmes et de la puissance financière et militaire de l'empire. Par suite, le problème de la terre devint la question cruciale de politique intérieure pour les empereurs de la dynastie des Macédoniens (867-1056). Au Xe siècle, les empereurs édictèrent un certain nombre de lois visant à enrayer la réduction des terres des paysans. Les communautés obtinrent la priorité pour l'achat des terres des paysans et aussi des dynatoi. En 927, le pays connut la disette, les paysans cédaient leurs terres pour une mesure de grain, « Au mépris des lois impériales, estil dit dans les nouvelles, les forts chassaient les humbles de leurs propres terres. » Les lois prescrivaient de rendre sans indemnités à leurs possesseurs lesterres qui leur avaient été enlevées par la force: les terres vendues devaient être rachetées à tempérament.
Or, la situation ne changea pas. Les lois étaient ouvertement violées. Les dynatoi arrachaient de nouvelles concessions à 1 autorité centrale. Ils ne furent même pas gênés par la loi portant sur la prescription, selon laquelle un paysan pouvait recouvrer sa terre si elle avait été transférée à un dynatoi moins de 40 ans auparavant. Il y avait là une raison majeure: la loi sur la prescription et le droit de priorité d'achat étaient mis à profit par ceux des paysans qui étaient en train de s'enrichir et qui. tout en conservant le statut juridique de paysans, s'étaient élevés au rang de dynatoi. En 996, une nouvelle de l'empereur Basile II abrogea la prescription: les terres communautaires devaient être restituées, indépendamment de la date de leur aliénation. Mais cette dernière tentative de faire obstacle à la diminution du nombre de contribuables n'eut que peu d'effet.
La combativité des garnisons des thèmes n'était plus celle d'autan. Les stratiotès devenaient les parèques de leurs commandants. C'est pour cette raison qu'au Xe siècle l'empereur déclara inaliénables les terrains des stratiotès. Les possesseurs de lots morcelés devaient s'associer pour équiper en commun un guerrier à envoyer à l'armée.
Mais on ne pouvait à coup de lois refréner l'appauvrissement des paysans-stratiôtès. L'aspect social de l'armée se modifiait. La plupart des stratiotès acculés à la ruine ne pouvaient plus remplir leurs obligations militaires, certains étaient devenus petits ou moyens propriétaires. Devant l'évidence de ces changements, Xicéphore II Phocas (903-969) n'exigea le service militaire dans la cavalerie lourde que des propriétaires d'au moins trois lots de terre. Les stratiotès furent franchement séparés de la paysannerie. Toutefois, au XIe siècle, la réorganisation de Farinée n'était pas encore terminée. Les paysans accomplissaient les services auxiliaires dans l'armée. Craignant que l'aristocratie de province ne prît une puissance trop grande, les empereurs recrutèrent de plus en plus des mercenaires: Normands, Russes. Géorgiens. Arméniens, etc.
Les lois du 10е siècle étaient loin de refléter les espérances des paysans. La législation montrait clairement la rivalité au sein de la classe dominante entre l'aristocratie de province désireuse d'assujettir les paysans et les hauts fonctionnaires qui tiraient leurs revenus des impôts qu'ils prélevaient sur la population au nom de F Etat. Les uns et les autres voulaient jouir du privilège exclusif d'exploiter les paysans. Le pouvoir central continuait, pendant un certain temps, de percevoir les impôts même sur les paysans asservis, puis il en greva la population libre, de moins en moins nombreuse. Les empereurs de la dynastie macéIonienne qui augmentèrent le fardeau fiscal favorisèrent par là même le développement des processus que dans leurs novelles ils déclaraient sans cesse vouloir enrayer.
Les ordonnances promulguées au Xe siècle se suivaient en se répétant, car elles n'étaient pas observées; les concessions faites aux dynatoi étaient de plus en plus fréquentes et c'était désormais sur eux que reposait l'armée. A partir du Xe siècle, et surtout au XIe siècle, les empereurs accordèrent de larges exemptions d'ims aux chefs militaires, aux dignitaires et aux ecclésiastiques, leur abandonnèrent le droit de prélever les impôts à leur propre compte et, par la suite, leur cédèrent de nouvelles terres avec les paysans libres qui y résidaient.
Paysans féodalement dépendants et paysans libres.
La grande propriété foncière du Bas-Empire aux IVe-VIe siècles avait reposé sur le travail des esclaves, des colons, des fermiers semi-libres et des ouvriers agricoles. La propriété de type nouveau était fondée sur le travail des tenanciers dépendants, c'était donc une propriété féodale. Dans la plupart, les paysans étaient devenus des « parèques » qui avaient perdu le droit de propriété sur leurs lopins qu'ils continuaient à cultiver. De nombreux paysans furent attachés aux terres de leurs maîtres en vertu du droit qui rendait héréditaire la possession d'une terre dont le tenancier avait scrupuleusement observé pendant 30 ans les termes du contrat de bail. La condition de ces paysans devenait plus dure que celle des autres, car ils se trouvaient en dehors de la communauté qui, jusqu'à un certain point, défendait ses membres, même asservis.
Le travail servile était encore utilisé aux IXe-Xe siècles] dans les grands domaines. Même plus tard, il ne disparut pas complè- tement ; il y eut encore assez longtemps des esclaves domestiques, des gardes du corps et des servantes esclaves, mais, dès le XIe siècle, les esclaves ne jouaient plus aucun rôle dans l'agriculture. Le nom de « parèques » s'étendit peu à peu à l'ensemble de la population rurale. Ils conservaient encore à cette époque une certaine liberté de mouvement.
La forme de rente féodale la plus répandue aux IXe-XIe siècles était la rente en travail, mais la rente en nature prit de l'importance. Pour ce qui est de la rente en argent, c'était l'ancien impôt d'Etat cédé aux féodaux; cette troisième forme de rente ne cessait de croître.
Durant la période de féodalisation intense, l'Etat se hâta de consolider ses droits sur les stratiôtês, et sur d'autres catégories de paysans. Les habitants des villages situés le long des grandes routes devaient desservir les stations des postes impériales et du bureau des affaires étrangères; ailleurs, leur tâche consistait a ravitailler la cour; de nombreux villages furent directement attachés aux domaines de la famille impériale. Au XIe siècle, les empereurs furent enclins à considérer tous les paysans libres comme « parèques » de l'Etat.
Les paysans libres imposables étaient encore relativement nombreux au XIe siècle. Ils pliaient sous le poids d'une fiscalité atroce dans son raffinement. Tout semblait avoir été enregistré jusqu'au menu: étendue et qualité des terroirs, des prairies et pacages, bestiaux — gros et petits, ruches, moulins, pêcheries, parcs à moutons, rien n'était oublié, pas même les volailles. On avait compté chaque feuille sur les arbres et chaque cheveu sur la tête, raillaient les paysans avec amertume. Les principaux impôts dus au fisc impérial étaient la redevance en nature, qui, vers la fin du Xe siècle, s'était muée peu à peu en redevance en espèces et l'impôt en argent prélevé par feu, que payaient même les nécessiteux. Il y avait toujours une multitude d'exactions extraordinaires et des corvées à remplir, et par-dessus tout l'arbitraire effréné et les abus des fonctionnaires. Les documents du XIe siècle sont autant de témoignages de la misère extrême des paysans.
La ville féodale. Le Livre de l'Eparque.
Le milieu du IXe siècle marque le début d'un renouveau des villes, dû à la croissance des forces productives et la victoire définitive de la petite industrie artisanale libre. Les anciennes villes poussaient, de nouvelles apparaissaient. La qualité et la variété des produits ouvrés s'amé- lioraient. La circulation monétaire se faisait plus intense. L'élite qui était en train de s'enrichir accrut la demande en articles de luxe. Le commerce se développa avec l'Orient, les pays slaves du Midi, la Russie et l'Europe occidentale. Thessalonique était un port de première importance. Mais sans conteste, Constanti- nople restait la plus grande ville de toute l'Europe médiévale, et c'est là que l'essor de l'artisanat et du commerce se manifesta avec le plus d'éclat. De puissantes murailles entourant des palais somptueux, églises et monastères, colonnades et portiques, arcs et statues, la baie de la Corne d'Or avec un va-et-vient de vaisseaux, et une foule bariolée parlant toutes les lan- gues de la Terre, tout cela prêtait à la ville un attrait irrésistible. Les visi- teurs affluaient de tous les pays du monde médiéval. Mais à quelques pas des palais se pressaient les taudis des petites gens, d'une multitude d'artisans. Cette foule grouillait dans des ruelles étroites et sans soleil, d'une saleté repoussante, où une acre poussière et la puanteur des tanneries prenaient à la gorge et où se répandait l'odeur nauséabonde des ordures pourrissant devant les maisons. Nulle part ailleurs on ne voyait autant de soie et d'or, de guer- riers et de gens d'Eglise, d'élégants et de dignitaires et une telle quantité de mendiants, d'estropiés et de prostituées. nopl
L'organisation de l'artisanat et du commerce à Constantide est décrite dans le recueil juridique de l'éparque rédigé au début du Xe siècle (le Livre de VEparque). Les principaux corps de métiers étaient groupés en corporations analogues à celles du Moyen Age et qui remontaient souvent aux collegiums du Bas-Empire romain. Le Livre de VEparque fait état de 22 corporations différentes. Les négociants étaient groupés eux aussi en corporations, mais elles étaient plus privilégiées que celles des producteurs. Les métiers libres n'étaient pas protégés par les autorités et leur pratique était souvent poursuivie par la loi.
Nombreux étaient les maîtres des corporations à utiliser encore le travail des esclaves. L'artisanat corporatif était étroitement lié à la Cour impériale. Ces artisans vivaient des commandes de l'Etat et de l'Eglise, équipaient l'armée et la marine, confectionnaient des vêtements somptueux, des ornements, des ustensiles. L'Etat protégeait les maîtres des corporations contre toute concurrence de la part des métiers libres, mais par contre leur imposait un contrôle tracassier. La tutelle des autorités brimait l'initiative et, au lieu de stimuler la production, finit par en devenir une entrave.
La loi aux termes de laquelle quiconque avait acheté des charges d'Etat ou des titres ne pouvait plus être artisan ou commerçant et devait puiser ses revenus du domaine de la consommation des moyens de production, fut lourde de conséquences funestes pour les villes. Ceux qui continuaient à exercer leur ancienne activité perdaient le moyen d'agir directement sur la politique de la Cour. Les dirigeants des corporations intensifièrent la lutte aux Xe et XIe siècles pour leurs droits, incitant les citadins à de redoutables révoltes. Seulement ils n'avaient pas d'allié. Les empereurs recherchaient l'appui des habitants des villes contre les féodaux séditieux. Mais les premiers oppresseurs de la popula- tion urbaine laborieuse étaient justement la Cour et les fonctionnaires et non les féodaux des provinces.
L'appareil d'Etat.
L'administration générale de l'Empire devint plus complexe aux IXe et XIe siècles. Chaque administration ou bureau (il y en avait plus de 60) comprenait plusieurs chancelleries. Les principaux ministères étaient : celui des affaires financières ou genikon, qui veillait en particulier à la levée des impôts et fixait leur chiffre; celui des affaires militaires, qui versait la solde aux guerriers et s'occupait de l'armement et de l'intendance; celui des postes impériales et des affaires étrangères, qui réglait tous les rouages de la diplomatie.
Les fonctions des divers ministères n'étaient pas très nettement définies. Presque chaque bureau, chaque fonctionnaire ou stratège avait des attributions judiciaires. Il y avait un juge un peu partout. Outre le tribunal de l'empereur et celui de l'Eparque, il y avait un tribunal près l'hippodrome, des tribunaux pour guerriers et marins; chaque thème avait son juge.
Les jugements rendus par ces tribunaux variaient suivant l'appartenance sociale du délinquant. Les grands étaient passi- bles d'une amende, de la perte de leur office, d'une confiscation de biens ou de l'exil. Seul l'attentat à la vie de l'empereur entraînait un châtiment plus rigoureux : on pouvait imposer la tonsure au coupable, l'aveugler ou le condamner à la peine capitale. Les hommes du peuple pouvaient être punis de flagellation, mutilés ou marqués au fer rouge pour le moindre délit; condamnés à être vendus en esclavage, brûlés vifs, pendus ou cloués au pilori pour des fautes plus graves. Parfois, sans jugement aucun ni enquête, les « indociles » étaient tout simplement roués de coups. La torture a toujours été un moyen d'enquête largement pratiqué A côté de la hiérarchie des charges, il y avait encore une hiérarchie des titres. Des dons en argent, en vêtements ou en nature récompensaient l'accomplissement des charges. Tout porteur d'un titre recevait par surcroît une certaine somme d'argent. Une foule de dignitaires et de seigneurs ne désemplissait pas le palais impérial. Chacun avait sa place dans le cérémonial fastueux et solennel qui était de rigueur. Les courtisans (souvent des eunuques) arrivaient à jouer un rôle de premier plan dans l'administration.
Les plus grands dignitaires et les seigneurs formaient le Sénat ou;Conseil des Cinq Cents auprès du basileus. Leur influence sur la politique de la cour était considérable. À partir du milieu du IXe siècle et jusqu'au dernier quart du XIe siècle, le Sénat défendit ordinairement les intérêts des fonctionnaires de la capitale. La ^politique des empereurs tendait vers la centralisation maximale du pouvoir; mais la réalité était tout autre: le pouvoir baissait inexorablement à mesure que s'instaurait le féodalisme.
L'Eglise et les monastères.
L'alliance de l'Eglise et de l'Etat était très étroite dans l'Empire byzantin. L'élection du patriarche de Gonstantinople, le second personnage de l'Empire, dépendait de l'empereur. Le patriarche n'était pas comme le pape un souverain la fois temporel et spirituel. Les évêques byzantins placés à la tête des juridictions ecclésiastiques ne possédaient pas de biens-fonds en propre. Ils devaient compter pour vivre dans l'aisance sur les bontés des basilei. D'ordinaire ceux-ci ne chicanaient pas quand il s'agissait du clergé. Au Xe siècle, les anciens dons « bénévoles » à l'Eglise étaient devenus des prestations obligatoires imposées par le fisc ; tous les citoyens les acquittaient dorénavant par feu en argent et en nature.
L'Eglise chrétienne fut considérée officiellement jusqu'au milieu du XIe siècle comme étant une et universelle. En réalité, l'Eglise occidentale et l'Eglise orientale étaient séparées depuis les invasions barbares. Les papes prétendirent de façon particulièrement pressante à la prééminence sur toute l'Eglise quand ils eurent reçu les Etats pontificaux du roi des Francs. Constantinople rejeta toujours ces prétentions. Lorsque le pape donna son appui aux adeptes du culte des images, l'empereur Léon III lui retira son pouvoir spirituel sur l'Italie du Sud, la Sicile et l'Illyricum avec Thessalonique. Le conflit prit toute son acuité au IXe siècle alors que les missionnaires byzantins Cyrille et Méthode arrivèrent en Moravie et que la Bulgarie se convertit au christianisme de rite oriental. La papauté connut aussi des revers en Russie et en Serbie. Mais par contre, au milieu du XIe siècle, elle renforça son influence dans l'Italie du Sud où Byzance voyait ses positions faiblir et réaffirma ses ambitions avec une insistance redoublée. La riposte du patriarche de Constantinople fut très vive. Et, en été 1054, il était excommunié par les légats du pape et de son côté lançait l'anathème contre le pape. Le schisme était consommé. Depuis lors, il y a deux Eglises, l'Eglise catholique romaine et l'Eglise orthodoxe orientale.
Les intérêts politiques et matériels qui opposaient les deux parties furent constamment masqués par des querelles théologiques touchant des questions de dogme, d'organisation et de rite. L'Eglise romaine considérait que le « Saint-Esprit » procédait « du Père et du Fils » (filioquë), alors que l'Eglise orientale rejetait le filioquë et disait « du Père par le Fils ». En Occident, la communion se faisait au pain azyme et, en Orient, au pain fermen- té. Les fidèles catholiques ne communiaient qu'à l'hostie, et les orthodoxes, au pain et au vin. Le prêtre occidental devait faire vœu de célibat, tandis que les prêtres orientaux pouvaient se marier, etc. Ces divergences, peu profondes en elles-mêmes, étaient toujours mises en avant et les discussions qu'elles engendraient étaient empreintes de fanatisme exacerbé. La scission entre les deux Eglises aggrava la situation extérieure de l'Empire byzantin.
Les moines étaient foule à Byzance. Les idées mystiques trou- vaient facilement écho parmi la paysannerie miséreuse. Il était courant de voir plusieurs paysans mettre leurs parcelles en commun pour fonder un petit couvent qui, tôt ou tard, tombait sous la tutelle d'un grand monastère dont les supérieurs étaient d'anciens féodaux laïques qui venaient à peine de revêtir le froc. Les monastères relevaient de l'empereur, du patriarche ou bien étaient privés. Les grands personnages voulurent souvent faire montre de vertu en fondant leur propre monastère. La richesse foncière des monastères s'accrut au point d'inquiéter les empereurs. Ils tentèrent au Xe siècle d'entraver leur croissance, car ils représentaient une force politique considérable.
Situation extérieure, seconde moitié du IXe siècle-fin du XIe.
La stabilisation de la situation extérieure qui marqua le règne de Basile fondateur de la dynastie des Macédoniens (867-886) fut de courte durée. Dès la fin du IXe siècle, Arabes et Bulgare:-! infligeaient de nouveaux revers à l'Empire. Ces échecs reflétai ont. de profondes transformations sociales en gestation: les troupes des stratiôtês perdaient de plus en plus de leur valeur combative, mais l'armée féodale ne s'était pas encore constituée. Les Arabes s'emparèrent de la Sicile et menacèrent l'Italie du Sud. Ils occupèrent Chypre, la Crète devint une base pour les pirates arabes. Au début du Xe siècle, ils pillèrent même Thessaloniquc.
A la fin du IXe siècle, le roi de Bulgarie, Syméon, partit en guerre contre Byzance. Les Bulgares occupèrent la presque tota- lité de la Macédoine et l'Epire, avant de soumettre les Serbes. Ce n'est qu'après la mort de Syméon survenue en 927 qu'un traité de paix fut signé avec son fils Pierre et cimenté par un mariage et la promesse de payer un tribut annuel. Dans les années 60-70 du Xe siècle, la Crète fut reconquise, puis la Cilicie, Chypre et la Syrie du Nord avec Antioche et enfin la Bulgarie du Nord.
Les difficultés reprirent dans le dernier quart du Xe siècle. La Bulgarie de l'Ouest devenue plus forte récupéra la Bulgarie du Nord, étendit ses conquêtes aux côtes de l'Adriatique, à la Macédoine jusqu'à Thessalonique et occupa la Thessalie. L'empereur Basile II le « Bulgarochtone » ou « tueur de Bulgares » (976-1025), politicien froid et calculateur, fit montre d'une cruau- té inouïe au cours des 40 années que dura la lutte presque sans répit. Il eut toutes les peines du monde à s'assurer la victoire. En 1018, il conquit la Bulgarie, grâce à la félonie des féodaux bulgares (voir p. 183). Peu après la mort de Basile II, l'empire passa en tout lieu à la défensive. Un nouvel ennemi, les Turcs seldjoucides, se dressa à l'Est. La population de l'Ouest de l'em- pire était terrorisée par les raids dévastateurs des Petchenègues. Le territoire du pays se rétrécit à nouveau.
Les relations russo-byzantines aux IXe-XIe siècles.
Au Xe siècle, les Russes accentuèrent leur pression sur Byzance. Leurs premières expéditions dans les possessions byzantines de Crimée (thème de Khersonesos) et sur les côtes méridionales de la mer Noire datent du début du IXe siècle. En 860, ils investirent Constantinople. Mais un accord intervint avec les Russes et une fraction de l'aristocratie de la Russie kiévienne embrassa le christianisme. Les relations s'envenimèrent à nouveau au début du Xe siècle, vraisemblablement par suite de la réduction des privilèges commerciaux, tant des Russes que des Bulgares dans la capitale. En 907, les Byzantins virent apparaître des myriades de pirogues. Ils durent s'incliner et conclure en 911 un traité avantageux pour les Russes. Les marchands russes obtenaient une résidence dans un des faubourgs de la ville. Leurs navires seraient désormais entretenus gratuitement pendant leur séjour et armés pour le voyage du retour. Ils pouvaient commercer sans péages.
En 941, le prince Igor entreprit une nouvelle expédition contre Byzance. Les Russes ravagèrent les côtes du Bosphore, de la Nicomédie et de la Paphlagonie, mais leur flotte fut anéantie par le feu grégeois. Trois ans plus tard, les Russes sont à nouveau au Danube et les Byzantins rachètent leur retraite par des dons et en renouvelant l'accord commercial.
En 968, les Byzantins incitèrent Sviatoslav à partir en campagne contre les Bulgares. Mais, après avoir soumis les Bulgares, le prince russe décida de s'établir solidement sur le Danube. En 970-971, il fit la guerre à l'Empire de concert avec les Bulgares. Contraint de demander la paix et de quitter la Bulgarie, Sviatoslav, aux termes d'un nouvel accord, renonçait à ses prétentions sur Kherson et la Bulgarie et promettait son soutien militaire à Byzance. Les Russes purent continuer sans entraves à commercer avec l'Empire.
A la fin des années 80 du Xe siècle et sur une demande de l'empereur Basile II, le prince Vladimir dépêcha une troupe russe pour l'aider à réduire des féodaux mutins en Asie Mineure. Mais l'empereur se fit tirer l'oreille pour donner sa sœur Anne en mariage à Vladimir, comme il l'avait promis si celui-ci lui accordait son concours. La prise de Kherson par Vladimir hâta la conclusion du mariage. C'est à cette époque que la Russie reçut le baptême. Les relations commerciales, politiques et culturelles avec Byzance devinrent plus étroites. Les premiers temps, l'Eglise russe eut à sa tête des métropolites byzantins nommés par le patriarche ; des architectes et des peintres byzantins vinrent à Kiev ; des livres sacrés et des objets du culte furent introduits de Bulgarie et de Byzance. Dans le premier quart du XIe siècle fut fondé à Athos, en Chalcidique, le premier monastère russe. Mais la dépendance religieuse qui liait la Russie à Byzance restait de pure forme.
En 1043, la flotte russe investit de nouveau Constantinople, mais elle eut à souffrir de la tempête et du feu grégeois. Cependant, l'imminence du péril contraignit les Byzantins à rechercher une solution pacifique au conflit. Un nouvel accord fut signé et consolidé par le mariage de Vsévolod, fils de Yaroslav le Sage, avec la fille de l'empereur Constantin IX Monomaque.
Les liens culturels et commerciaux entre l'Empire byzantin et la Russie continuèrent à se développer. Des marchands byzantins vinrent s'établir dans les villes russes. Des corporations de commerçants russes se spécialisèrent dans les échanges avec Byzance; on les appela des « gretchniki ». Les contacts étroits et prolongés entre la Russie et Byzance ne pouvaient manquer d influer profondément sur l'évolution de la culture russe.
Conflits politiques à l'intérieur.
Le premier heurt d'importance entre l'aristocratie féodale et les grands dignitaires de la capitale eut lieu au début du règne de Basile IL L'élite militaire d'Asie Mineure se révolta et pendant près de 10 ans retint toutes les forces du gouvernement central. Le basileus eut toutes les peines du monde à faire pencher la victoire en sa faveur. C'est sous le règne de Basile II, dernier représentant éminent de l'aristocratie de la capitale sur le trône impérial, que Byzance fut au faîte ie sa puissance.
Mais les magnats provinciaux aspiraient toujours au pouvoir, n 1057. ils réussirent à placer Isaac Ier Comnène sur le trône. Toutefois, leurs positions n'étaient pas encore assez fortes. La nouvelle politique qui lésait les intérêts des grands dignitaires se heurta à une telle opposition que deux ans à peine après son accession au trône, Isaac dut renoncer au diadème. La noblesse eut de nouveau la haute main sur le gouvernement, mais elle re- pri: sa politique à courte vue qu'elle était incapable de modifier. de réduisait les effectifs de l'armée et augmentait les impôts, minant à la fois l'armée féodale et les milices de stratiôtês. La banqueroute totale de la politique de cette aristocratie eut pour couronnement la bataille de Manzikert en 1071, où l'énorme armée byzantine fut battue à plate couture par les Turcs seldjoucides, qui emmenèrent l'empereur captif. Cette même année, la Tille de Bari, dernière place byzantine dans la péninsule italienne, tombait aux mains des Normands qui s'emparaient peu à peu de toutes les possessions de Byzance en Italie du Sud.
Les dix années qui suivirent la bataille de Manzikert furent mplies d'une âpre lutte pour le pouvoir. En 1081, l'aristocratie militaire fut de nouveau victorieuse et Alexis Ier Comnène '1081-1118) montait sur le trône.
Aux Xe et XIe siècles, la lutte de classe avait un caractère ment localisé. A mesure que croissait l'exploitation féodapopulaire montait et les paysans se soulevaient contre leurs propres seigneurs. Périodiquement, au cours des Xe et XIe siècles, des révoltes, brèves mais violentes, embrasaient les villes; elles étaient dirigées contre le poids des impôts et l'arbitraire des autorités. Cependant l'extrême bigarrure sociale de la popuhtion urbaine et la dépendance dans laquelle se trouvaient les maîtres des corporations quant aux commandes de l'Etat, ; - mettaient aux autorités de diviser les citadins pour mieux les tenir en respect. Les insurrections populaires furent particulière-ment violentes dans les provinces frontalières : en Italie du Sud, en Cilicie, Arménie et surtout en Bulgarie. C'étaient des révoltes antiféodales, mais en même temps des mouvements de libération nationale. La plus importante fut celle des Bulgares en 1040- 1041. cor, oui te par Pierre Délian. Elle fut noyée dans le sang.
"Histoire Du Moyen Age", Editions du Progres, Moscou, Traduit de l'edition russe 1964
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